Ad nauseam
Je suis quelque part, accroupie sur un bout de rocher surplombant l'océan. Autour de moi, les bourrasques de vent agitent des nuages blancs, effilochés, entre les éclats d'un soleil glacial,
aveuglant. Je suis au bout d'une jetée, la houle se fracasse et m'éclabousse, je me sens, là, prête à chavirer, je sens craquer les amarres qui m'attachaient au quai. Coquille de noix creuse,
j'oscille entre le continent noir de mes souvenirs et le gouffre plus sombre encore, avec ses turbulences mortelles, qui s'ouvre et m'aspire inexorablement.
Je m'accroche à un caillou, les doigts en sang, je sens que toute force m'abandonne, je suis prête à lâcher prise. Mes pensées ne m'appartiennent plus, elles filent comme des trains à haute vitesse vers d'autres destinations sous mes paupières alourdies comme deux parpaings de fatigue poisseuse. Je ne sais pas ce que je fais là, cela n'a aucun sens, aucune raison, je me suis éveillée ainsi ce matin.
Qu'ai-je fait ? Mon Dieu, qu'ai-je fait ? Qui m'a amené là ? J'envie aux morts leur sommeil et leur absence, pourtant mon corps crie de toutes ses maigres forces, mon coeur continue de battre
malgré moi, pourquoi ? Je sens encore les désirs s'agiter sous la peau de mon ventre, s'immiscer dans mes globules, se déchainer à m'en donner la nausée, le mal de mer.
Allons ! Regardons simplement autour de nous. La vie est là. En fait je suis dans une maison de briques construite plus ou moins solidement, mais qui résiste aux caprices du temps. Je remets une bûche dans l'âtre, le bois siffle joyeusement en se consumant. Les grands peupliers et le saule restent fidèles, résistants, bravant le souffle tempétueux du vent. Je me surprends à les admirer, ces arbres, comme j'admire tous ces animaux discrets couchés dans leurs tanières, dormant dans leur trou ou quêtant leur nourriture en grattant le sol. Je suis un animal bien moins libre qu'eux, j'ai besoin de substances pour supporter les assauts du monde. Je ne sais rien, à part pleurer et me lamenter.
Il est temps pour moi de redevenir un simple animal. Mais comment faire ? Je ne trouve que l'ivresse comme réponse pour oublier que je suis humaine et aspirée par la douleur et le néant.
Non, ce n'est pas la bonne réponse. Dois-je cesser de résister et me laisser tomber dans le vide ? Dois-je m'oublier dans l'illusion mystique et devenir illuminée ?
Je n'aspire qu'à une illumination : celle de l'oiseau qui chante sur une branche, simplement, et qui, demain peut-être, sera dévoré par le chat.