Des cartes
Dans un passé lointain je fus une hétaïre,
Un bourreau très méchant ou un humain très sot.
Je fus marquée au fer, et j’ai bien souvenir
D’avoir raté un train en passager idiot.
J’avais de grands pouvoirs mais je les ai gâchés :
De ma main de tyran je fis couler le sang,
Ou simplement en mots je fus un meurtrier,
Piétinant l’amitié dans mon aveuglement.
Je suis mort c’est certain, dans d’atroces souffrances,
Me rappelant au mal que j’avais infligé :
Heureusement pour moi n’en ai point souvenance,
Sinon que de tout mal maintenant j’ai pitié.
Mais je revois en rêve la file d’attente,
Le long couloir sombre, les âmes angoissées.
Y aura t-il pour moi une place vacante ?
Il faut que je revienne pour me rattraper !
Et puis j’ai pour compagne la malédiction :
Qu’ai-je fait ? Qu’ai-je fait dans cette autre existence ?
Je devine qu’ici n’est que répétition :
Pourquoi un Dieu cruel m’a t-il donné ma chance ?
Je ne sais rien du tout, sinon cette tristesse
Et ces jours incomplets jusqu’à l’écœurement.
Cette vie demandée qui en fait ne me laisse
Rien que la liberté de mes égarements.
Je ne sais rien, plus rien, sinon que j’ai le deuil
D’un au-delà vécu, qui n’est qu’un jeu truqué :
A vous moitié de cartes jetées sur le seuil
Je dis j’en ai assez, je ne veux plus jouer.