Incursion

 

Endormie sur des montagnes de papiers comptables de mes mots, je succombe à la beauté d’un monde éblouissant

 

Je m’y perds dans des rues qui dévalent des collines foisonnantes, au milieu d’hommes et de femmes en marche. Les petites maisons bordant ces rues sont des palais de métal transparent et de stuc rose.

 

Elles descendent toutes à la plage ; la mer, violette, est encombrée de goélettes et de minuscules embarcations. Le ciel bien trop clair virevolte au dessus des mouettes. Le soleil semble être au zénith, à l’aplomb des bateaux, mais sa lumière est si vive que je ne peux le situer avec exactitude.

 

Tous agitent des drapeaux et des fanions sans couleurs précises, qui changent selon la direction du vent. L’air est chaud, portant des crépitements d’armes, des grondements de canons et des rumeurs d’orages encore lointains, mais personne ne s’en inquiète. Au contraire, chaque salve déclenche des « hourras » dans la foule. Serait-ce l’approche de combattants amis ?

Des bataillons d’enfants paradent sur les trottoirs, montés sur de petits chevaux racés qui filent à une vitesse incroyable.

 

Je crois bien qu’il s’agit d’une fête. Un peuple en liesse prend possession de la ville aux palais miroitants et aux plages de palmiers en terrasses. Tous sont beaux, hommes et femmes, vêtus de tissus légers qui flottent sur des corps puissants et des membres déliés. Ils portent tous de longues chevelures, en tresses tombant sur leurs reins, ou librement flottant au vent. Leurs yeux sont noirs, doux et profonds.

 

Certains se tiennent par la main, d’autres lèvent la tête au ciel, mais tous chantent. Je ne comprends pas ces chants aux harmonies étranges, mais je suis saisie par leur beauté qui me donne envie de pleurer.

 

Je me réveille sur mes monceaux de papiers. Le chant du peuple des rêves résonne à mes oreilles, mais leur monde m’est désormais fermé. La pluie tombe doucement sur les carreaux, laissant passer une lumière aux reflets d’ardoise entre les gouttes.

 

Je suis perdue, désorientée ; je regarde sans comprendre les quatre murs jaunis de ma chambre. Dehors, un camion benne passe ; puis une ambulance ; les lampadaires sont encore allumés, fouillant le ciel lourd de leur lumière orangée.

 

Je repousse les papiers en tas au pied de mon lit et j’essaye de me rendormir.

 

Pas moyen. Alors je prends une feuille sur le tas, un crayon qui traîne à terre, et j’écris.

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octobre 2010



30/08/2011
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