L'ennui

Note pour plus tard : il faudra que j'écrive sur l'ennui...

 Ça y est, on est à plus tard. C'est arrivé comme ça sans que je m'en aperçoive : on est le lendemain du jour où j'ai écrit "Il faudra que j'écrive sur l'ennui". Je m'ennuyais ferme quand j'ai écrit cette note. Et puis le temps a passé avec ses gros sabots -non, avec ses énormes pieds d'éléphant ou de mammouth, en écrasant chaque dixième de fraction de seconde à la minute dans le silence le plus complet.

 Qu'ai-je fait hier ? Je ne me rappelle pas. Pour me rappeler, il faudrait faire un effort. Faire un effort mental, ça prend du temps. Pendant ce temps, j'oublierai encore d'écrire sur l'ennui .L'ennui, c'est que c'est ennuyeux. Si je me mettais à écrire sur l'ennui, je pourrais remplir des bibliothèques entières. Ca ne prendrait jamais fin, ça déborderait de partout, ça dégoulinerait jusqu'à inonder le plancher, puis l'escalier, puis le trottoir, la rue, la cité, les avenues, les banlieues des cités, les supermarchés, les usines, les autoroutes, les champs, les prés, les forêts, et même les océans.  Jusqu'à la mort. La mort : je suppose que quand on est mort, on ne s'ennuie pas. On n'a pas le temps. D'abord, on n'a plus de montre. (Tiens, où ai-je mis ma montre ? Quelle heure est-il ? Faut passer à table ? Débarrasser ? Faire la vaisselle ? Le café ?)

 Technique de base pour chasser l'ennui : faire des listes. Des listes de choses à faire. Mais aussi, trier, ranger, déranger, ordonner, classer, déclasser, empiler, dépoussiérer, chercher sa montre, regarder les aiguilles de la montre bouger, casser la montre, la démonter, l'emmener chez l'horloger, mais pour cela il faut descendre l'escalier, sans oublier de mettre des chaussures, une veste, ses clefs dans son sac, vérifier les lumières, le gaz, fermer les fenêtres, descendre l'étage, dire au revoir au chien, sortir la poubelle (à cause du chien), fermer la porte à clé, aller jusqu'à la voiture sans marcher dans les crottes de chien, ouvrir le portail, retourner à la voiture, démarrer...

 C'est ennuyeux. De plus, je n'ai pas d'argent, d'essence, de parapluie (il pleut), de pain pour ce midi (quelle heure est-il ?), d'appétit mais, bon dieu, j'ai soif ! Voilà, tout cela me donne soif.

 Arrêter tout : le rangement, le classement, le dépoussiérage, le démontage de montre, mes projets, dont celui de me faire une liste de projets. Déboucher la bouteille de je sais-pas-quoi qui traîne au fond du placard à droite de l'évier sous la plaque de cuisson, prendre un verre, des glaçons (c'est meilleur avec des glaçons), s'asseoir dans le canapé (enlever la veste avant) avec le verre à moitié plein et la bouteille à moitié vide, et hop ! Shootée, scotchée, liquéfiée, noyée, essorée, évaporée, envolée..

 Mais c'est trop banal.  Alors je prends le téléphone, compose le numéro d'untelle, allume une cigarette, allô ? Quoi de neuf ? Ça va ? Ça va, et toi ? Ben, moi, doucement, c'est pour ça que je t'appelle, ah ! bon, qu'est-ce qui t'arrive ? Ben, rien, qu'est-ce que tu fais, là ? Je bosse. Ah ? Je te dérange ? Mais non bien sûr, alors qu'est-ce qui ne va pas ? Rien ne va, je sais pas quoi faire. T'as rien à faire, quelle chance ! Et si tu en profitais pour te promener ? Non, j'ai pas envie, et puis il pleut. Ben, trouve quelque chose à faire. Oui, bonne idée, qu'est-ce que je pourrais faire ? Ben , t'as forcément des choses à faire, allez bouge-toi, tiens, j'ai une idée : fais une liste.

jeudi 7 avril 2011


30/07/2011
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