La contrevenante

 

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Non mais, quelle indécence !

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Comment, qu’est-ce que j’ai d’indécent ?

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Mais regardez-vous enfin ! Vous avez vu tout ça ? C’est dégoûtant !

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Dégoutant ? Qu’est-ce que j’ai de dégoûtant ? J’ai pris ma douche, vous savez, et mes vêtements sont propres…

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Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, Mademoiselle…

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Quoi, alors ?

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Vos idées ! Est-ce que vous surveillez vos idées ?

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Mais pourquoi devrais-je surveiller mes idées ?

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D’abord, vos idées se voient et s’entendent, Mademoiselle. Ensuite, vous en avez de trop. C’est obscène, toutes ces idées. Vous ne pourriez pas les cacher au moins ?

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Les cacher ? Pourquoi donc ? Écoutez, cher Monsieur, j’ai toujours eu des idées. Beaucoup d’idées. Et des pensées aussi. Je ne les ai jamais cachées, au contraire. Par exemple…

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Par exemple ?

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En ce moment même, je pense que vous êtes un emmerdeur doublé d’un con, et peut-être même un psychopathe.

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Je vois… Je vous emmerde peut-être, Mademoiselle… Mais vous vous trompez. Je ne suis pas un psychopathe comme vous dites. Je suis un Représentant de l’Ordre.

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Quel ordre ? Et vous n’avez même pas d’uniforme, d’abord.

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L’ordre des idées uniformes n’a pas besoin d’uniforme, chère Mademoiselle. Je repère les exhibitionnistes comme vous… ça pourrait vous coûter cher, vous savez…

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Me coûter cher ? Que voulez-vous dire ? Qu’on me vole des idées ?

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Non mais, je rêve ! Et qui en voudrait, de vos idées ? Elles sont râpées vos idées : usées, obsolètes, trouées. Et quel foutoir ! Je me demande si vous arrivez à vous y retrouver.

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Ça, c’est mon affaire. Quant à vos idées sur mes idées, je m’en tape. Et puis, fichez-moi la paix à la fin !

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Ouais… Ben, si c’est votre foutoir, gardez-le pour vous. Il y en a que vos idées choquent… J’ai eu des plaintes.

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Des plaintes ?

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Parfaitement, Mademoiselle. Des plaintes émanant de citoyens tout ce qu’il y a de plus respectables. Vous exhibez sur la place publique des idées extrêmement choquantes.

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Par exemple ?

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Je ne vais pas vous faire un dessin. Vous savez de quoi je parle : vous avez des idées très étranges.

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Bon ! Faudrait savoir ! Mes idées sont râpées, obsolètes et trouées ou bien étranges ?

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Vos idées ne sont pas celles de tout un chacun. Aujourd’hui, tout le monde se doit d’avoir les mêmes idées.

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Rangées ou dérangées ?

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Rangées Mademoiselle, rangées. Et pas trop nombreuses.

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Sinon quoi ?

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Sinon, Mademoiselle, vous n’avez pas 36 solutions : soit vous cachez vos idées…

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Soit ?

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La sanction sociale, Mademoiselle, la sanction sociale…

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Ouf ! C’est déjà ça… pas de prison au moins !

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Non, Mademoiselle, c’est beaucoup plus simple : toute personne décente vivant avec le minimum d’idées légitimes et autorisées se détourne de vous…

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Et après ?

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Et après… vous vivrez et mourrez seule, Mademoiselle : c’est la sanction.

 

18 juin 2010



14/10/2011
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