Prophétie
La liberté se noie dans un grand bain démocratique. Un bain froid, de notoriété publique. Elle ne s’en sortira pas, car la liberté n’a plus de mains : ses héritiers les lui ont coupées. C’est tout à fait logique : la liberté à un certain moment s’est comportée en catin, elle a couché avec n’importe qui dans le village. Elle a notamment couché avec des voleurs, avec des cousins proches ou des alcooliques notoires, et n’a fait que trop de bâtards à l’esprit embrumé, mais prêts à se battre sur sa dépouille.
Car la liberté était trop riche de promesses et faisait des envieux, à gauche comme à droite, à l’est comme à l’ouest, de Londres à Paris, de New York à Pékin, de l’Asie, à l’Afrique (sans oublier les Amériques) :
« Un petit monde blême et plat, Afrique et Occidents, va s’édifier. Puis un ballet de mers et de nuits connues, une chimie sans valeur, et des mélodies impossibles. »
La Liberté, engluée dans les algues et des mensonges communs, ne sera bientôt plus qu’un cadavre. On sortira le cadavre gonflé d’eau pour le montrer au peuple. Pendant ce temps Dieu botte en touche. Cela est présage de grands malheurs. Demain on coupera les mains sur les places publiques ; on coupera aussi les têtes, on coupera les idées en quatre. Il n’y aura pas d’escale pour les enfants de la liberté qui n’ont pas trahi. Ce seront des jours maussades pour les amants. Il faudra se cacher, mais où ? Cela terminera par une guerre : les héritiers bâtards se réfugieront dans leurs tours. Les tours seront dynamitées, ce qui réjouira trop vite les héritiers légitimes. On verra partout des fantômes sans visages. On nous commandera de les accueillir en nos pays, nos places et en nos maisons. Ces fantômes accompliront la Parole : la parole de mort après le « massacre des révoltes logiques ».
Il n’y aura pas de sauveur qui descendra du ciel; il n’y en a jamais eu d’ailleurs. Ce sera le « temps des assassins ». Ce temps est déjà commencé depuis longtemps.
Le sauveur : chacun de nous. Or chacun de nous est englué dans le monde blême. Rien ne sert de se débattre. Il ne reste qu’à fuir. Fuyons par le plus court chemin : nous-mêmes.
___________
Texte inspiré par Arthur Rimbaud, qui était un visionnaire...